En France et en Europe de l’ouest le niveau de vie du peuple se dégrade au nom des réformes structurelles, souvent sous couvert de parasitisme social. En Turquie le niveau de vie à largement augmenté en dix ans. Alors que de ce point de vue on pourrait attendre une réaction de la part des pays occidentaux, celle-ci vient des turques. Quand la réalité d’un autre monde paraît trop éloignée de sa propre condition, alors la réaction devient impossible, alors qu’à l’inverse quand ces mondes se rapprochent, ou du moins semblent se rapprocher, rien ne semble plus inaccessible.
Ainsi en Turquie le salaire minimum a triplé depuis l’arrivée de l’actuel premier ministre Erdogan il y a quasiment 12 ans – qui en a lui profité pour devenir l’un des hommes les plus riche du monde pendant ce même laps de temps. Aujourd’hui le peuple, ou en tout cas une partie de celui-ci, demande plus de démocratie, demande à être entendu et refuse d’accepter béatement les décisions de ce dernier. L’exemple qui est aujourd’hui dans tous les esprits est bien sûr la destruction du parc Gezi – parc juxtaposé au square Taksim représentant lui un symbole fort pour les turcs car c’est le lieu de prédilection pour des rassemblements populaires comme celui du 1er mai par exemple – qui a mis le feu au poudre. Le gouvernement souhaitant y aménager un espace uniquement piéton et y construire un centre commercial – un de plus, a démarré la destruction du parc sans les autorisations nécessaires et sans même de projet abouti. A l’instar du centre culturel Ataturk également situé sur le square Taksim et à la place duquel il a été prévu de bâtir une mosquée, les mandataires n’ont pas reçu les autorisations des « architectes bâtiments de Turquie ». Pour autant l’intérieur a été entièrement détruit il y a quelque années de cela et laisser pendant depuis, rendant toute utilisation impossible, mais également toute réhabilitation pour cause de procédure est toujours en cours. Quel symbole pour cette « démocratie [laïque] de premier rang » !
Revenons au parc Gezi. Mise à part la construction d’un énième centre commercial le projet – aussi flou soit-il ne semblait pas si mauvais que cela, en tout cas, ça se discute. Mais démarrer la démolition de ce parc sans les autorisations peut facilement être pris comme un signe de provocation. C’est ainsi que 50, puis 150, puis 300 pour atteindre plusieurs milliers de personnes le 4ème jour, se sont rassemblés pacifiquement et dans le calme à Gezi pour empêcher sa destruction. C’est la violente réaction de la police qui a décuplé le nombre de personnes prenant part à ce mouvement de protestation, cette réaction associée à l’incroyable surdité du premier ministre a transformé la simple défense d’un parc en ce mouvement en protestation pour « la démocratie » (parole de turcs), et plus simplement à Istanbul mais aussi à Ankara, Izmir ou Antalya. J’ai entendu à maintes reprises que cet événement n’était rien d’autre que la goutte d’eau qui a fait déborder le « verre » et qu’Erdogan n’a eu de cesse ces dernières années de provoquer les défenseurs de la république laïque. Hausse du niveau de vie général, provocations durables du gouvernement, attaque d’un symbole fort et réactions disproportionnées de la police, tel est le cocktail qui a mis le feu à la Turquie pendant plus de 2 semaines.
Durant ce laps de temps les protestataires stambouliotes se sont organisés dans Gezi, une fois encore dans le calme et la propreté, contrairement aux dires du premier ministre. Des stands de toutes sorte ont vu le jour, nourriture gratuite pour les occupants du parc, médecin – qui risquait leur droit d’exercer en étant là – venant en aide aux victimes des violences policières, représentants des partis de l’opposition et de toutes les minorités qui se sentaient concernées par le mouvement, homosexuels, kurdes, groupe religieux délaissés, … Les étudiants, sans emploi et retraités restaient toute la journée tandis que les actifs venaient apporter leur contribution à la sortie du travail pour grossir les rangs des manifestants. C’est ainsi que s’organisait cette petite ville dans la mégalopole dans une ambiance oscillant entre kermesse et revendications. Tous les 3 4 jours la police revenait attaquer, disperser la foule mais sans toucher au parc, et faisant régulièrement quelques morts et à chaque fois plusieurs centaines de blessés sans compter les arrestations massives. De mon point de vue ce petit jeu aurait pu durer longtemps.
Le 11 juin aux aurores le gouvernement a décidé de nettoyer Taksim des signes de protestation « terroristes », installés par les « vandales » (on met bien ce que l’on veut derrière ces termes). Les rues se sont alors remplies à nouveau jusqu’au 15 juin au soir où la décision a été prise de vider le parc dans une violence grandissante. Ce même jour après avoir éparpillé les protestataires un peu partout dans la ville, l’intense répression de la police a provoqué ce qui pourrait s’apparenter à une guerre civile, manifestants, journalistes et forces de l’ordre jouant au chat et à la souris dans la ville. Ces derniers tirant gaz lacrymogènes plus que de raison et confisquant masques à gaz, masques de ski et lunettes de piscine des deux autres, les forçant à abandonner la bataille, pour un soir au moins.
2 semaines après le début de l’Occupy Gezi ce sont les forces de l’ordre qui ont pris le relais, empêchant les terroristes, mais aussi tout autre honnête citoyen de s’y rendre. Les mouvements de contestations continues, tantôt il s’agit de rassemblement massif encore et toujours violemment réprimés, tantôt d’individus, debout sur leurs 2 jambes, la mine triste et l’air résolu qui font acte de présence au beau milieu des rues commerçantes ou des places emblématiques de la ville. Des forums de discussion fleurissent ici et là – une trentaine à Istanbul aujourd’hui, dans lesquels les participants se retrouvent tous les soirs pour échanger sur les maux que connaît leur chère république laïque, tenter d’y trouver des solutions et s’organiser pour y parvenir.
Quel sera l’avenir du parc Gezi et de la place Taksim ? Comment évolueront ces mouvements de contestations ? Et AKP, le parti d’Erdogan sera t-il à nouveau vainqueur des prochaines élections ? Le temps apportera ses réponses à ces questions, espérons simplement que ces dizaines de morts n’auront pas été vaines.
Le constat est alarmant et la démarche du gouvernement inquiétante ce qui rend la bière plus alléchante. Aucune réaction de la part du peuple occident n’est à prévoir pour se positionner dans un sens ou dans un autre. L’indifférence est aux aguets, c’est un peu comme prendre partie pour celui qui va gagner.
Le plaisir de vous lire sans image est une grande récompense à travers le merdier de la censure internet turque.
Bien à vous Mr et sûrement pas en Irak.
Au plaisir de partager ce petit coin de tranquilité.