Nagorno-Karabakh : La morne histoire d’une terre disputée

 

C’est trois jours après avoir quitté Yerevan que nous arrivons – accompagné d’une nouveau compagnon de route, polonais de son état – dans cette région autonome qu’est le Nagorno-Karabakh. En deux mots le territoire représente peu ou prou 1/3 de l’Arménie et est officiellement Azeri, suite au découpage du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) prévu par le gouvernement Gorbatchev en 1985 et aux manifestations arménienne de 1988, c’est en 1991 que la guerre éclate. Elle s’achèvera 3 ans plus tard et verra l’Arménie sortir « vainqueur » du conflit. Je ne peux m’empêcher un parallèle avec l’Ex-Yougoslavie. Dans les deux cas, 20 ans plus tard, une haine latente est toujours présente et les vestiges de la guerre ne viennent que confirmer les faits.

 

 

Pour considérer l’ampleur des dégâts il faut se rendre à Agdam, ville azeri jusqu’à la guerre – date à laquelle elle abritait environ 40 000 personnes. En signe d’affirmation de son autorité et pour éviter tout retour azeri dans la zone, l’armée arménienne a entièrement détruit la ville et les villages voisins. C’est un paysage lunaire qui s’étend à perte de vue, fait de ruines et de carcasses de véhicules qui s’offre à nos yeux quand nous arrivons au sommet d’un des minarets de la mosquée située au centre d’Agdam, seul et unique bâtiment encore en état dans la province. Je ne peux décrire la pénible sensation qui vous hante lorsque vous déambulez dans cette ville fantôme. Alors que les premières heures passées à errer ne nous permettent aucunement de discerner la moindre trace de présence humaine, nous finissons par rencontrer quelques habitants continuant à évoluer dans ces conditions abominables, une femme âgée assise sur la même pierre toute la journée et assurant la « sécurité », deux jeunes travaillant dans la zone et une famille tenant un petit magasin, pour qui ? Certainement pour ces centaines de fantassins que comptent les alentours, en effet la région grouille de soldats, et pour cause. Les tensions sont toujours présentes à la frontière – située à moins de 10km – et l’armée azéri y est présente, et bien présente. À titre d’exemple des snipers sont postés à la frontière, obligeant les habitants des villages frontaliers encore habités à éteindre la lumière la nuit venant, au risque de recevoir un balle.

 

 

L’ensemble de la zone frontalière connaît le même lot de paysage de désolation et la même densité impressionnante de militaires, si bien qu’il est difficile de ne pas trouver au moins l’un d’eux dans chaque voiture qui passe sous nos yeux. A Martakert, un peu plus au Nord, la ville s’est reconstruite par dessus les ruines, les foyers sont formés d’un toit, posé par dessus les murs encore en place, les routes ressemblent davantage à des pistes et les toilettes se trouvent entre la maison et la grange et sont composés de 4 plaques de tôle, d’un trou dans ce qui sert de plancher et de l’armature d’une chaise en guise de trône. Les pénibles traces de la guerre sont présentes absolument partout, mais pas encore l’extrême pauvreté.

 

Pour quitter le territoire de Nagorno-Karabakh et retourner en Arménie nous choisissons de passer par le Nord, zone dans laquelle nous n’avons rien à faire à en croire nos visas et les dires de la police qui nous a contrôlés quelques jours plus tôt à Martakert. Celle-ci souhaitait nous voir retourner directement à Stepanakert – capitale de la région – pour régulariser notre situation, souhait ignoré, en cas de nouveau contrôle nous prêcherons la stupidité du touriste et trouverons une solution, de toute manière. La dernière nuit dans cette région autonome sera passée chez Abo et sa famille, nombreuse. Il vit dans le village de sa femme, issue d’une famille comptant 11 enfants et en ont eux-même 7, presque tous les membres de la fratrie vivent encore dans ce village reculé et reproduise ce même schéma, je vous laisse imaginer la pagaille y régnant. Cette famille a dû quitter Baku (capitale azéri) lors de la guerre au début des années 90, laissant derrière elle tout ce qu’elle avait construite. La possibilité qu’une nouvelle guerre éclate dans la région est loin d’être écartée et la grand-mère nous explique qu’elle préfère vivre dans la précarité et la pauvreté plutôt que de tout perdre, une nouvelle fois. Elle nous confie également que sa priorité est de donner un toit et un repas à ses enfants, l’éducation et l’évolution individuelle passeront plus tard, me rappelant nos place respectives dans la pyramide des besoins.

 

C’est finalement le lendemain que nous quitterons le territoire de Nagorno-Karabakh, sans mentionner notre sortie du territoire à la douane, de peur qu’elle nous renvoie à Stepanakert régulariser notre situation. Exfiltration sans conséquence, la région est de toute manière dirigée par l’Arménie et ce statut de « région autonome » n’a de sens que d’un point de vue légal, aidant à éviter un nouveau conflit dans la région. L’ensemble des personnes qui ont connu cette guerre, n’ont de cesse d’en parler et de porter des toast demandant le paradis pour toutes ces personnes mortes et une vie sans guerre sur la province autonome de Nagorno-Karabakh. Pour autant, avant de quitter la région, les militaires de la famille d’Abo nous ont affirmé être prêt à combattre dans le cas où une nouvelle guerre éclaterait.

 

 

22/10/2013

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