Les sentiers interdits

Alors que je me suis bloqué tout seul l’opportunité d’aller visiter Mawleka et Homalin pour des questions tant éthique que budgétaire, dans les états de Kachin (Nord) et de Shan (Est) l’histoire est différente. Katha est mon point d’entrée dans l’une des zones « à risque », dans une zone où des conflits sévissent de manière régulière – pour ne pas dire permanente – entre les armées de libération locales et l’armée régulière du gouvernement. S’ajoute à ces conflits armés l’industrie de la drogue qui est après l’Afghanistan, le plus gros producteur d’opium mondial.

Katha

Une journée sera suffisante pour faire le tour de cette bourgade posée sur les berges de la rivière Aye Yarwaddy. Mais cette journée me donnera notamment à m’interroger sur l’un des conflits internes que connaît aujourd’hui la Birmanie quand en arpentant les rues de Katha je tombe nez à nez avec cette mosquée. Un bien triste spectacle que de voir un si beau bâtiment dans un si triste état et qui plus est, fermé à renfort de fils barbelés empêchant définitivement son accès à quiconque. De ce que j’ai lu, d’abord les Rohyigas (ethnie musulmane principalement située dans l’Ouest du pays) puis les musulmans en général ont subi des discriminations dans tout le pays ces dernières années (discrimination, le mot est faible : certains parlent de l’ethnie la plus persécutée du monde pour qualifier le traitement réservé aux Rohyigas en Birmanie). Pas de Rohyingas à Katha mais que ce soit pour bloquer l’accès aux musulmans à leur lieu de culte ou au contraire pour préserver leur patrimoine, ce pourrait bien être un signe de ces conflits religieux (principalement bouddhistes/musulmans) qui minent le pays depuis quelques années. Le lendemain sur le bateau qui m’amène vers Shewgu, un birman m’interroge sur ma confession religieuse avant de me dire être lui-même musulman et quand je l’interroge sur la situation des musulmans en Birmanie, il me répond qu’il n’y a aucun problème. Dit-il vrai de son expérience personnelle ou ne peut-il pas parler de ces choses à l’étranger que je suis ? Je n’aurai jamais la réponse et plus tard je verrai bien d’autres mosquées ouvertes et dans lesquelles les musulmans viennent librement prier.

Demi-tour

La veille d’embarquer dans ce bateau vers l’est, vers la frontière chinoise, je rencontre un groupe de 4 français (les premiers et seuls étrangers rencontrés à Katha) et nous nous retrouvons le lendemain sur le bateau. Lara, la fille du groupe me parle de Shwegu, petite ville située entre Katha et Bhamo où très peu de touristes se rendent (d’après le Lonely Planet du moins). Qu’à cela ne tienne, nous nous y arrêterons ensemble. J’apprends que contrairement à ce qui m’a été conté à Katha, cette route le long de la frontière chinoise menant à Lashio n’est pas accessible, tout d’abord en raison de sa qualité mais plus encore car c’est le lieu d’affrontements entre les armées indépendantistes de la région (Kachin, Shan, ainsi que les armées des minorités ethniques : ça fait du monde) et l’armée « régulière ». Je m’en serai douté mais ces deux charmantes jeunes femmes de la réception à Katha avaient l’air tellement sûr d’elles… Sur ces entre faits je vais me renseigner sur les bus. Mon idée est de couper par les petites routes pour éviter de passer à Mandalay (seconde plus grande ville de Birmanie) : la réponse est générale et unanime, ce n’est pas possible, je dois retourner à Mandalay. Bon ok, et à quelle heure sont les bus ? C’est alors (et après 20 minutes de « conversation ») que cette seule personne baragouinant un peu d’anglais m’informe qu’en tant que touriste je ne peux pas prendre le bus depuis Shwegu, je dois retourner à Katha. Tout cela vous paraît certainement compliqué et un peu capilotracté, ça l’a été pour moi aussi, croyez moi.

Nous visitons tout de même Shwegu: un très beau groupe de Pagodes sur une petite île que nous découvrons juste avant le coucher du soleil, et à notre retour en ville et alors que nous cherchons à savoir à quel heure le bateau quitte le quai le lendemain nous échouons dans l’un de ces bars tout droit sorti d’un film de western (birman). Le patron rechigne tout d’abord à nous laisser entrer et accepte finalement sous la pression d’un pilier qui veut absolument nous avoir à sa table. Il souhaite aussi nous inviter à dîner mais compte tenu de sa volonté de boire encore et encore (bien qu’étant déjà proprement imbibé), nous finissons par décliner et rentrons gentiment.

200km en 30h

Réveil à l’aube le lendemain pour un retour à Katha en 4h en bateau (le retour en bateau jusqu’à Mandalay aurait lui pris 3 jours et 2 nuits), puis 12h de bus de nuit entre Katha et Mandalay pour le réveillon de Noël (avec en guise de cadeau, le bus qui tombe en panne au milieu de la pampa) et enfin un taxi qui me porte en 6h jusque Hsipaw. C’est quelque peu exténué que je pose les valises dans cette petite ville située à flanc de montagne et dans laquelle je ne m’attends à voir que très peu de touristes. Raté ! A peine ai-je mis le nez dehors que je fais face à la plus grande concentration de touristes observé depuis Bagan. Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais mais le 25 décembre au soir est la date choisie pour le dîner de Noël dans cette guest house et l’ambiance générale ainsi que les personnes présentes autour de la table créent une atmosphère des plus sympathiques. Pour autant le voyage jusque Hsipaw ne m’a épargné et c’est vers 22h que je quitte ces joyeux lurons pour regagner mon antre. Je voulais me reposer un peu après toute cette route mais levé de bon matin je m’aperçois que les treks ne sont pas si facile à organiser que je l’aurai pensé, et ayant apparemment l’occasion (ou devrais-je dire le privilège) de partir – enfin – hors des routes courues par les touristes, je pack à nouveau mon sac et à 8h30, je suis en route pour la montagne pour 3 jours et 2 nuits, avec un guide birman et 3 touristes hollandais. C’est la première fois depuis que je voyage que je vais me balader avec un guide, pourquoi pas.

Les villages minoritaires.

Hors des sentiers battus. C’est ce que je m’étais imaginé. Après 10 minutes de marche nous réalisons que nous nous dirigeons vers Pankam, LE village de minorité ethnique touristique des environs dans lequel une trentaine de touristes passent et dorment chaque jour durant la haute saison. Nous voulions aller dans l’arrière-pays de Kyaukme, mais nous apprenons que cette zone est inaccessible depuis 2 mois en raison des combats y sévissant entre l’Armée de Libération Palaung et l’armée birmane. Un peu plus à l’est c’est un autre village, Namhsan qui est lui fermé depuis 2 ans pour les mêmes raisons, semblerait-il. Quand j’interroge le guide sur le pourquoi de ces zones bloquées, les réponses sont vagues, probablement en raison des conflits, mais pas sûr. Après quelques heures de marche nous arrivons à Pankam, un village minoritaire Palaung. Cette ethnie se trouve dans l’état de Shan. Les Shan ont leur langue (proche du thaïlandais) et leurs traditions, qui sont l’une comme l’autre bien différentes de la langue et des traditions Palaung. D’une manière générale, les Shans parlent Shan et Birman, les Palaungs parlent Palaung et Shan mais rarement Birman… Quel micmac ! C’est ici une bonne illustration de ce qu’est la Birmanie, un état composé d’une multitude d’ethnies ayant toutes leurs langues et traditions. Si l’on passe sur le nombre – tristement – impressionnant de touristes que l’on y croise, le village comptant une centaine de famille est tout à fait charmant. Alors que nous faisons le tour de celui-ci, notre guide utilise de manière décontractée le terme « sight-seeing » pour décrire ce que nous faisons ici. Lorsque en voguant ici et là j’arrive dans de tels endroits, je n’ai jamais eu l’impression de faire du « sight-seeing », et en y réfléchissant quelques instants je dois bien admettre qu’ici, c’est le cas. Cette visite est un peu comme observer (pendant quelques heures) les locaux dans leurs tâches quotidiennes. Une étrange sensation s’empare alors de moi et la magie qui était jusque lors encore un peu présente s’évapore. J’ai un peu l’impression de me balader dans un zoo, d’autant plus car c’est – comme toujours – accompagné de mon appareil photo que je parcours les petites rues pittoresques.

Reparti le lendemain en direction d’autres villages, c’est à Panka où nous nous arrêtons pour une petite pause que nous faisons la rencontre d’un groupuscule de cette armée de libération Palaung. La scène est une fois encore sortie tout droit d’un film hollywoodien. Des soldats armés de fusils de combats qui scrutent les alentours depuis le parvis de monastère dominant le reste du village pendant que les autres prennent un peu de repos en fumant leur grosses cigarettes en feuilles d’eucalyptus ou en chiquant leur noix de bétel. Bien qu’ils semblent tout à fait décontractés, ils s’informent tout de suite auprès de notre guide de savoir si  nous avons croisé quelconque membres de l’armée régulière durant notre marche matinale. Ces conflits existent donc bel et bien, et les troupes se baladent même dans les zones autorisées aux touristes. Après une heure et demie de marche supplémentaire nous arrivons –déjà – à la fin de notre randonnée de la journée. Ce village est encore plus charmant et pittoresque que le premier, peut-être un peu mois couru aussi. Tout comme à Pankam, nos hôtes nous accueillent de la meilleure manière qu’il soit et nous cuisinent de délicieux mets, les jeunes moines sont tout à fait heureux de pratiquer un peu leur anglais quand je leur rends visite au monastère, et les enfants (comme les adultes) semblent heureux et excité de me voir puis de se voir sur les photos. Pour autant je sais que beaucoup de touristes passent ici et j’ai du mal à ne pas me considérer d’une certaine manière comme un voyeur venant les observer durant à peine 24 heures, repartant ensuite avec toutes mes belles photos. Plus encore, le tourisme a démarré dans cette zone il y a 3 ans et la haute saison ne dure que de novembre à mars (s’ensuit la mousson et la saison sèche) ; ces locaux n’ont donc pas encore vu des hordes de touristes mais qu’en sera-t-il de ces villages dans 5 ou 10 ans si le pays reste ouvert et le tourisme se développe ?

Le lendemain c’est la fin de cette randonnée et après un passage – tout à fait sympathique – aux sources d’eau chaude où nous nous décrassons avec les locaux, nous rejoignons Hsipaw. Je ne regrette aucunement d’avoir fait cette randonnée mais l’intérêt trouvé sera davantage d’ordre éducatif.

Nouvel an à Inle lake

Le lac d’Inle, un must see. Mouais… Pour éviter le tourisme de masse, la visite de cette contrée pendant la période des fêtes qui se trouve aussi être la bonne et haute saison pour voyager en Birmanie aurait pu être mieux choisie. Les bateaux s’agglomèrent sur chaque lieu où on DOIT s’arrêter et finalement un charme inexistant. Je passerai cependant un réveillon sympathique en compagnie de Geoffrey et Hervé (2 des 4 français rencontrés un peu plus tôt), Anne, Nick et Henrik ainsi que de dizaines d’autres touristes venus dans LE coin des backpakers de Birmanie pour célébrer le nouvel an.

C’est un peu frustré que je rentre à Yangon avec le sentiment de n’avoir ici été autre chose qu’un touriste. Il n’est clairement pas facile de voyager en Birmanie quand on veut voir la « vraie » Birmanie et pas celle qui veut bien nous être servie sur un plateau. Pour autant, je pense aussi être à blâmer pour cette frustration, en effet la veille de retourner à Yangon j’ai rencontré un cycliste français qui m’a dit à quel point ce pays l’avait enchanté et à comment les locaux s’étaient montrés accueillants et hospitaliers à son égard à peine sorti des zones touristiques.

15/01/2015

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2 réactions à Les sentiers interdits

  1. dany guillou a écrit:

    bonjour Boris

    tous mes voeux de bonheur pour cette nouvelle année

    encore 365 jours pour toi à visiter ce grand monde ::la terre::

    CHAPEAU ,je suis très impressionnée je t’embrasse dany

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